Ah, les c... ! / Les décisions absurdes

Publié le par Fab

Gros, très gros, résumé-synthèse d'un OVNI de librairie sur le thème : "Comment se fait-il que cette méga c... puisse exister, être validée mais surtout  persister ?" 
Question que je me posais souvent avant de découvrir le bouquin.

Un avion de ligne, victime d'une avarie mineure, réparée ensuite et  qui s'écrase pour panne sèche car le commandant de bord, omnubilé par la préparation des passagers à un aterrissage d'urgence en oublie de regarder la jauge de carburant (vol UA 173 du 28/12/1978).

Deux pétroliers qui se percutent en pleine mer alors que leur trajectoires de départ étaient parallèles et distantes d'un mile nautique, soit 1,8 km (19/12/1972 - une dizaine de cas recensés).

La navette spatiale Challenger qui explose en plein décollage alors que les ingénieurs savaient que les joints des réservoirs d'appoint étaient défectueux par temps froid et avaient même demandé l'annulation du vol (28/01/1986).

Des présentations Powerpoint toujours illisibles en réunion.

Voici quelques exemples recensés et analysés dans le bouquin "Les décisions absurdes - Sociologie des erreurs radicales et persistantes" du remarquable Christian Morel.


A cela je rajouterai :

- les réformes imposées "à l'arrache" par notre gouvernement, qui jettent dans la rue des centaines de milliers de personnes, parfument ma ville au gaz lacrymo, pour être piteusement retirées par la suite, genre le CPE.

- les décapsuleurs qui ne décapsulent rien du tout, (j'ai oublié la marque),

- le "principe de précaution" devenu la doxa à la mode et qui conduit régulièrement à des sinistres économiques, financiers et humains, souvent en pure perte et à tort, et à des coûts insensés par rapport aux risques encourus.

Bon après, votre imagination et votre mémoire sont au pouvoir.

Allons-y.
Un de peu de conceptuel

La décision absurde n'est pas l'accident / faute professionnelle, l'opération "portes ouvertes-rafales libres" chez les paras de Carcassonne, le résultat faux / la prévision erronée, l'immobiler ne baisse jamais, ou encore la solution médiocre, la gare TGV des betteraves, d'Ablincourt-Pressoir (80) par exemple.

L'auteur en donne la définition suivante qui n'appelle aucune modif' :

"La décision absurde d'un individu ou d'un groupe est son action radicale et persistante contre le but même qu'il veut atteindre, dans le cadre de la rationalité de référence de cet individu ou de ce groupe"

Dit autrement, il doit exister un décalage, une déconnexion totale entre l'action menée et le but poursuivi ansi qu'une continuité dans l'erreur.

Précision.
A l'inverse,  il est aussi possible que l'on aboutisse à des décisions absurdes si le but est incertain, invérifiable, voire absent.
L'action devient même parfois le but en soi pour s'auto-légitimer.
Pensez au "Pont de la rivière Kwaï".
Ou aux devises shadoks ornant le bureau de toute madame Michu bossant dans l'administration.






















Comment ça marche ? L'analyse cognitive déficiente

Une thèse, réfutée par l'auteur, mais souvent présentée après n'importe quelle grosse cata : "le calculateur amoral".
En clair la culpabilité des acteurs qui agiraient selon le principe du  "Ou ça passe et nous serons des héros, ou ça casse et nous trouverons bien un moyen de noyer le poisson le moment venu".

Jérôme Kerviel qui torpille à lui tout seul les comptes de la Société Générale avec son simple terminal Reuter et deux mots de passe dérobés. MDR.

Mais c'est ainsi, clouer un quidam au pilori, ça apaise les foules.

Chercher le coupable au lieu de la solution...

Bien souvent les décisions absurdes sont collectives et validées de multiples fois.

So what ?

L'auteur parle en la matière d'un processus de "bricolage cognitif" s'appuyant sur nos méthodes heuristiques bien humaines.

Cékoissa ?

Eh bien, la où un ordi va "tourner" avec des algoritmes qui vont envisager toutes les solutions possibles avant de sortir la bonne, les programmes de jeu d'échecs par exemple, ce qui est dans l'absolu parfait, mais hyper vorace en temps et en ressources, l'esprit humain, lui,  va adopter un cheminement s'appuyant sur l'induction, la comparaison avec des situations déjà rencontrées, ses a priori et son "bon sens".

Statistiquement, c'est efficace, économique et... rapide.

Statistiquement...

Car de multiples pièges sont dissimulés dans ce type de processus, liste non exhaustive :

- la méconnaissance des lois de la probabilité,
- la logique intuitive,
- l'échéance lointaine du problème et l'espérance q'une solution sera trouvée d'ici là,
- la recherche du point focal (en l'absence de pouvoir échanger des infosavec l'autre, je présage ce que l'autre ferait à ma place et réciproquement, souvent "ça" marche, pas toujours, cf. les collisions de navires en pleine mer,),
- la détermination d'un causalité erronée (je vois le résultat B après avoir fait A, mais B résulte en réalité d'un cause C que j'ignore, je vais donc valider à tort l'action A)
- le raisonnement non conséquentialiste (attente d'un résultat pour prendre une décision qui est impérative, urgente et indépendante du résultat, ex : tomber en panne sèche en essayant d'avoir des infos sur un train d'atterrissage bloqué, alors qu'il faut atterrir dans les 15 mn qui suivent, train baissé ou non).
 
Le manager, l'expert et le candide

Trois rôles, cinq actions.

Allez, encore un triangle... porte la poisse cette figure.

Là où la thèse de l'auteur devient intéressante est quand il modélise le processus sous forme matricielle.

Je vais me contenter de présenter les rôles et les modèles les plus significatifs, je vais pas copier-coller 300 pages ici.

Le manager :  lui, c'est pas dur, c'est la personne ou l'entité investie d'un pouvoir hiérarchique et décisionnel, celui qui appuye au final sur le bouton rouge si vous préférez.

L'expert : est celui qui possède un savoir approfondi sur un sujet particulier.
Dans les grosses boîtes, on parle ainsi de "père technique" sur un projet, un produit, une chaîne de traitement informatique, une direction fonctionnelle (comm', formation, juridique...)
Il peut être soumis entièrement au manager, mais souvent, son savoir vaut pouvoir de conviction ou de véto face aux dirigeants (un mal bien français au passage).

Le candide : peut avoir des fonctions managériales, parfois associé au processus de décision (le directeur financier par exemple) sans pour autant avoir la moindre compétence technique. Peut aussi définir les simples collaborateurs / clients / administrés / utilisateurs.


Cinq actions pour une erreur.

Dans la matrice, chaque acteur va réaliser une action, la combinaison des trois générant la grosse "boulette", tout le monde suit ?

Les cinq actions sont :

Produire :  réaliser l'erreur.
Demander : demande la solution absurde
Suivre : valider de façon plus ou moins explicite la solution absurde ou lui accorder sa confiance
Être absent : subir ou ne pas intervenir pour arrêter la décision absurde
S'opposer : celui qui peut s'opposer à la persistance de l'erreur.

Quelques exemples :

Le modèle hiérarchique autonome : manager producteur, expert absent, candide opposant.

Pullule en entreprise dans les domaines de la communication, la psychologie, la motivation salariale ou l'organisation.
Le manager estimant que, de par sa fonction, il est suffisamment versé dans le domaine pour se passer de toute expertise préalable produit en "solitaire".

Le résultat ? Après un vague bricolage cognitif en solo, "on" diffuse, met en production et... les salariés gueulent et le manager ne comprend pas pourquoi.
Ami lecteur, tout ressemblance...

Le modèle hiérarchique démuni : manager producteur, expert opposant ignorant, candide absent. 

Une des pires situations en tant qu'expert, dont quelque part, je fais partie dans mon job.

Vous savez que "ça" mal finir, faire "vilain temps" mais vous n'avez pas d'arguments factuels pour soutenir votre opinion.

Du style les ingénieurs de la navette spatiale qui avaient bien compris que par temps froid, les joints des réservoirs se rétractaient et laissaient filer le gaz et qu'un jour, ça allait pêter grave.
Mais n'ayant aucun élément de mesure ou statistique à fournir au "top management", ce dernier a appuyé au final sur le bouton rouge.

Base de nombreux scénarios de films catastrophe.


 ( ) Scénarii (avec un accent en plus) est un snobisme qui me fait hérisser le poil depuis trop longtemps. 
En français, scénario, comme piano ou solo prend un S au pluriel. Accorder à l'italienne
relève de la cuistrerie. Ah ! Ça va mieux.
Fin de ()


Autre exemple ?

Un virus mortel s'invite dans une ville, menace le monde  et "l'expert" prévient les autorités qui ne l'écoutent pas car il ne peut "rien" prouver.

Le "candide", lui, va mourrir de fièvre hémorragique par paquets de mille...

Alerte ! avec Dustin Hoffman, ça vous cause ?





Le modèle technique autonome : manager absent, expert producteur, candide absent.

Un bon truc "à la française" aussi.

Deux - trois énarques ou experts s'arrogent une prérogative, "emballent" la chose devant le politique, et "c'est parti".

Un exemple, un seul ?
Le scandale du sang contaminé.
J'aime pas beaucoup Fabius, mais, après avoir cherché, je vous jure qu'il n'y est pour rien.
Tout s'est fait entre les toubibs du CNTS et deux trois chefs de cabinets/ministres zélés.
Effrayant...

Le modèle technique démagogique : manager suiveur, expert producteur, candide demandeur

Vous commencez à comprendre le principe maintenant, donc plus de définition, juste un exemple.

Encore tiré du registre médical : la prescription systématique, gage de sérieux et de compétence du médecin aux yeux du patient, d'antibiotiques quand ce dernier a simplement une "bonne crève", alors que le remède aux USA c'est "chicken soup" et ça marche pareil.
Spécificité française, qui, il est vrai, disparaît peu à peu.

Le modèle décentralisé : manager suiveur ou absent, expert absent, candide producteur

Souvent efficace dans l'absolu et utilisé en entreprise pour motiver les salariés (les faire devenir acteurs de leur travail).
Cependant, la grosse faiblesse de ce modèle est qu'en l'absence d'une expertise / étude d'impacts sur tout le processus, une décision valable au niveau local, peut  générer les pires déboires au niveau global.
Cela marchait un peu comme cela à ...Tchernobyl.

Navré, mais les exemples professionnels que j'ai en tête, pourtant fort drôles, me feraient violer mon devoir de réserve.
Mais vous avez certainement les vôtres, pensez aux décisions du conseil syndical dans votre immeuble...

Le modèle technocratique : manager producteur ou suiveur, expert producteur ou suiveur, candide opposant

Inutile d'insister sur ce dernier, les résultats font la page "sociale" du 20h00.

 
Le piège des décisions collectives

L'auteur précise que le facteur collectif de la décision est souvent un facteur accélérateur/amplificateur de la décision absurde.

Autrement dit un chef seul peut se planter "grave", mais moins souvent qu'un comité qui est en définitive la somme des conneries potentielles (oups, je l'ai dit !) de chacun de ses membres.
A méditer ...

Autres causes :

-  les silences de déférence (le technicien se tait en présence de son manager).
Vous voulez une réunion efficace ? N'invitez jamais les chefs, choisissez le second, vous le valorisez , il vous en sera reconnaissant et en plus, lui, s'y connaît en vertu du principe de Peter.

-le médium de communication inefficace
Ex : le vague courriel que vous recevez en tant que copie et dont l'absence de réponse de votre part est considérée comme une validation par l'émetteur, le vrai cancer des grosses boîtes.

Ou pire, la conférence téléphonique...

C'est à l'issue de l'une d'elles, rassemblant 34 personnes sur trois sites différents, que la décision de lancer Challenger fut prise.
Ne l'oubliez jamais.

P...! Galère ! Mais c'est où la sortie ?

Là est toute la difficulté.

Une fois qu'une conscience éclairée découvre l'absurdité de la chose, comment faire marche arrière ?
En gros , "Mais que font les experts ?"

Eh bien, les experts, paradoxalement, on les oublie.

Pourquoi ?

Soit parce que l'on fait appel à "l'auto-expertise", car on croit savoir, ou tout simplement parce que la taille et la structure en réseau de l'institution (entreprise ou gouvernement)  éloigne les pôles d'expertise du "terrain".


Autre cause, la difficulté de traduction.
Allez expliquer à un manager/ministre la complexité d'une centrale nucléaire dont le réacteur rentre en fusion en 3 mn avec un vague powerpoint ou par téléphone...

Il est même parfois plus difficile de présenter une erreur persistante qu'une innovation technologique.

Pensez aussi qu'il presque impossible de révéler une erreur sans mettre directement en cause des personne qui seront, parfois injustement, désignées comme coupables.

Ce que l'école de Palo Alto évoque par "contenu" et "relation" dans toute communication.

Enfin il y a "l'impossible immixtion" ou comment un candide, totalement étranger au domaine, peut signaler l'erreur ?
L'enfant qui déclare que l'empereur est nu dans le conte d'Andersen.

Humainement le candide va se taire de peur de se ridiculiser s'il se trompe ou par déférence hiérarchique, et l'erreur persistera ad vitam. 

Comment conclure ?

J'ai le bouquin sous les yeux et je suis bien embêté.

Les trentes dernières pages recèlent un concept chacune, je n'en présenterai donc aucun, je vous ai fait faire les 3/4 du chemin, finissez-le seul.

Je citerai cependant  une dernière fois l'auteur quand il évoque la nature de la décison politique :

"Les décisions politiques recherchent la mobilisation collective. On est prêt à payer un prix élévé pour assurer la mobilisation, pour que chacun y trouve son compte. Ce qui est recherché n'est pas la bonne solution, mais l'adhésion. Leur fragilité vient de cet objectif de mobilisation. Ces décisions sont potentiellement absurdes parce qu'on peut tout faire au nom de la mobilisation. Dans cette perspective, mieux vaut une solution absurde qui suscite l'adhésion collective plutôt qu'une solution parfaite sans soutien."

Vous n'entendrez plus jamais les déclarations de nos "politiques" de la même oreille...





Bande son : Philip Glass -  Powaqqatsi  /  Naqoyqatsi

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A
Powaqqatsi / Naqoyqatsi?" La musique ... en l'écoutant, nous apprenons en effet qu'il est des plaisirs, les plus profonds, qui requièrent seulement une acceptation, un accueil, une docilité, une vacuité qui répudient toute attitude conquérante et activiste"Y.Prigent
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P
Eh oui, les experts on les oublie. Mais est-ce bien paradoxal ?Quand votre postion hiérarchique fait de vous un "sachant", l'expert devient un "gênant".A une époque, mon entreprise m'a confié la mission d'étudier la faisabilité de mise en place d'un PCA. Un PCA s'est, en gros, un ensemble de processus destinés à faire trouner la boutique en cas de catastrophe nucléaire.Il m'était venu naturellement à l'idée que la cellule décisionnaire (le pilote dans l'avion) devait être composée pour moitié (environ) de décideurs et d'experts. Ces derniers devant apporter leur indispensable connaissance du terrain pour que les bonnes décisions puissent être prises dans les meilleurs délais.Aujourd'hui, le PCA est en place et la cellule décisionnaire n'est constituée que de décideurs de haut niveau. Les experts,eux, devront être contactés par téléphone et avec un peu de chance, ils décrocheront ...Le principe de Peter a pour corollaire que : " avec le temps, tout poste dans l'entreprise sera occupé par un employé incapable d'en assumer la responsabilité".Les différends modèles organisationnels semblent bien être la conséquence de ce principe et de son corrollaire et on peut désormais se demander si le pronostic vital de nos entreprises ne peut se trouver un jour engagé !  
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