Le bon Samaritain, le Triangle infernal et M. Perrichon...

Publié le par Fab

Un "psycho de bazar"  prolongation du  billet  "Drivers - petites voix" , en réponse à un courriel privé, et  pour B... nouvelle lectrice du présent blog.

Notre culture judéo-chrétienne, pas un jugement, un simple constat, nous ordonne d'être toujours au service des autres, quel qu'en soit le prix à payer parfois pour nous mêmes ...

"Aime ton prochain comme toi-même".

Si l'on préfère une vision laïque, même chose, notre République nous donne deux droits : la Liberté et l'Egalité, mais nous enjoint un devoir : la Fraternité. 

Cette fraternité, altruisme, compassion, appelez-la comme vous voulez, est ce qui fonde une Civilisation, ce qui nous distingue de la barbarie, et qui a fait rester "humains" les déportés du goulag ou des camps nazis, à l'inverse de leurs bourreaux.

Toutefois...

N'avez-vous jamais aidé quelqu'un qui ne vous avait rien demandé ?

Éprouvez-vous un soulagement intérieur, une jouissance quand vous aidez quelqu'un ? 

Ne vous sentez-vous pas coupable lorsqu'un proche éprouve des difficultés à se prendre en charge ?

N'avez-vous pas parfois que mépris ou colère à l'égard d'une personne qui irait beaucoup mieux si elle appliquait enfin vos conseils ?

Ne seriez-vous pas un sauveteur, par hasard ?

Objet du présent billet.

Séquence 1 :  "On remonte aux sources" / Approche biblique.

Voici  la parabole du bon Samaritain.

Ami "bouffeur de curés", tu peux rester, ce message est universel.



[...]
Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: Et qui est mon prochain?
Jésus reprit la parole, et dit: Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s'en allèrent, le laissant à demi mort.
 Un sacrificateur*, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre.
Un Lévite**, qui arriva aussi dans ce lieu, l'ayant vu, passa outre.
Mais un Samaritain***, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu'il le vit.
Il s'approcha, et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui.
Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l'hôte, et dit: Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour.
Eugène Delacroix - Le Bon Samaritain (coll.privée)

Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands?

C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi.
Et Jésus lui dit: Va, et toi, fais de même. [...]

Luc- X - 29-37


Pour bien saisir toute la symbolique de cette parabole.  

*
& **
Sacrificateur : préposé aux sacrifices dans les temples juifs.
Lévite : membre de la tribu juive des Lévi traditionnellement vouée au clergé.
Jésus, dénonce ici, une fois encore, l'hypocrisie du clergé de l'époque, à ses yeux des Tartuffe.

***
ll faut savoir enfin qu'à l'époque, déjà (!), la province de Samarie était en franche discorde avec le royaume de Judée. Or, la scène se passe en Judée...  


 Séquence 2 :  "On modélise" / Approche psychologique.

 

Tout "allait" bien, jusque là, quand en 1968 débarque un certain Stephen Karpman...

Cékissmek ?

Karpman, Stephen Karpman, psychologue américain spécialisé en analyse transactionnelle,élève d'Eric Berne.
Prolongateur de son oeuvre, il a su synthétiser et modéliser la plupart des "jeux" identifiés par son maître dans son fameux "Triangle dramatique" ou triangle infernal.

Hémécékoistruk ?

Eh bien, dans les "jeux" auxquels nous "participons", nous allons occuper plus ou moins spontanément une des trois pointes du triangle (le dessin à gauche ;-)  )

Notons que deux personnes suffisent pour constituer un triangle, comment ?
Une évènement fera office de troisième.et d'élément déclencheure.


Soit : 

Persécuteur : il s'agit du rôle de l'agresseur, de l'attaquant. Le persécuteur peut être une personne, un événement, une situation (deuil, rupture amoureuse, licenciement...) 

Victime : il s'agit du rôle de la personne qui subit l'agression du persécuteur. Paradoxalement, ce rôle est le plus recherché, car c'est celui qui apporte le plus de gratifications, de bénéfices secondaires, de reconnaissance

Sauveteur : il s'agit du rôle du protecteur, du chevalier blanc. A première vue, ce rôle est perçu comme positif alors qu'il contribue souvent à renforcer la dynamique du triangle infernal, car on persiste à donner bien que l’aide apportée soit sans effets.

Nous entrons dans le triangle par "notre" rôle préférentiel, le plus souvent celui de la victime ou du sauveteur, car nous avons appris, dès notre plus jeune âge, à faire plaisir, à nous soumettre à l'autorité, à rendre service...les fameuses "petites voix", le bon Samaritain, quoi !

Ceux qui n'ont pas suivi au fond de la classe, on reboucle à présent ?

 Nous entrons plus rarement dans la position du persécuteur.

Souvent , le rôle du persecuteur est pris par toute personne, intérieurement peu sûre d'elle, sur la défensive, qui sentant sa position menacée, "attaque" préventivement, car qui est le plus stressé ?
Le maître ou l'esclave ? 

 Mais l'aspect infernal, diabolique, du triangle se fait sentir quand nous glissons d'un rôle à l'autre.
Comment ?  
Par exemple, quand le sauveteur, lassé par les demandes d'une victime, se transforme en persécuteur :
"T'es vraiment trop nul, tu comprends rien" ; "Après tout ce que j'ai fait pour toi...".

 La victime elle-même, se sentant en dette vis-à-vis du sauveteur, peut se transformer en persécuteur (cf. § 3 du billet).

Et on refait un "cycle"...

Pas simple, j'en conviens.

Peut-on sortir du triangle de la mort qui tue ?

Oui, mais  ce n'est pas l'objet du présent billet,  je vous "persécute", je sais.
Allez traîner sur la Toile ou chez votre libraire,

En revanche, pour les sauveteurs patentés ou en puissance dont je faisais partie, fini maintenant, et qui me lisent , voivi quelques trucs bien utiles :

- M'a-t- on réellement demandé de l'aide ? Ne rentrez-vous pas dans le jeu "Laisse faire, j'vais te faire voir " ?

- La personne aidée est-elle en mesure de se prendre en charge après le "coup de pouce" ou comme d'hab' va-t-elle me refiler le singe ?

- Même implicite, existe-il une contrepartie que la "victime" vous donnera en retour ?

- L'étendue et la durée de mes engagements sont-elles clairement définies avant de commencer ?

- Enfin, mon aide fera-t-elle gagner en autonomie la personne que j'aide ? 

"Ne donne pas du poison à celui qui a faim, apprends-lui à pêcher" ou dit autrement Live and let die. 

Séquence 3 :  "On chauvinise " / Approche artistique

S'il faut bien reconnaître que "Trop forts ces américains !", une fois encore l'idée d'origine, comme le ciné, l'avion ou la relativité, elle, est made in France.

La preuve ?

Le voyage de Monsieur Perrichon

Il s'agit d'une des pièces les plus connues d'Eugène Labiche,écrite en...1859 !

Le rapport avec la choucroute ?

Sois patient et lis un peu ami lecteur, après tout ce que j'ai écrit, tu ne veux tout de même pas que je te raconte en 30 secondes ?


 

L'argument de la pièce est le suivant :

Ne sachant qui choisir entre Daniel ou Armand, deux prétendants qui courtisent sa fille Henriette, Monsieur Perrichon décide d'emmener tout le monde en Savoie.

Bien que rivaux en amour, Daniel et Armand sont loyaux l'un envers l'autre, et si Armand est réellement amoureux d'Henriette, Daniel viserait plus la dot qu'autre chose.

Durant une excursion, Perrichon tombe de cheval et ne doit son salut qu'à Armand, qui risque sa vie pour lui.

Plus tard, Daniel, lui, organise un faux accident où Perrichon vient le secourir à peu de frais.
Daniel fait "mousser" l'évènement partout où il passe et Perrichon finit par se croire le Saint-Bernard du genre humain.

Au final, Perrichon choisit Daniel, bien qu'Henriette aime Armand.

Rassurez-vous, tout finira bien.

Comment ?

Lisez la pièce, pardi !

Extraits du dernier acte (passages en gras / rouge à mon initiative) :

[...]
Daniel. - Voici l'heure de la philosophie... M. Perrichon se recueille... et, dans dix minutes, nous allons connaître sa réponse. Mon pauvre ami!

Armand: - Quoi donc?

Daniel. - Dans la campagne que nous venons de faire, vous avez commis fautes sur fautes...

Armand, étonné. - Moi?

Daniel. - Tenez, je vous aime, Armand... et je veux vous donner un bon avis qui vous servira... pour une autre fois! Vous avez un défaut mortel!

Armand. Lequel?

Daniel. Vous aimez trop à rendre service... c'est une passion malheureuse!

Armand, riant. - Ah! par exemple!

Daniel. - Croyez-moi... j'ai vécu plus que vous, et dans un monde... plus avancé! Avant d'obliger un homme, assurez-vous bien d'abord que cet homme n'est pas un imbécile.

Armand. - Pourquoi?

Daniel. - Parce qu'un imbécile est incapable de supporter longtemps cette charge écrasante qu'on appelle la reconnaissance; il y a même des gens d'esprit qui sont d'une constitution si délicate...

Armand, riant. - Allons! développez votre paradoxe!

Daniel. - Voulez-vous un exemple: M. Perrichon...

[...]
Daniel. - Eh bien, M. Perrichon vous a pris tout doucement en grippe.

Armand. - J'en ai bien peur.

Daniel. - Et pourtant vous lui avez sauvé la vie. Vous croyez peut-être que ce souvenir lui rappelle un grand acte de dévouement? Non! il lui rappelle trois choses: Primo, qu'il ne sait pas monter à cheval; secundo, qu'il a eu tort de mettre des éperons, malgré l'avis de sa femme; tertio, qu'il a fait en public une culbute ridicule...

Armand. - Soit, mais...

Daniel. - Et, comme il fallait un bouquet à ce beau feu d'artifice, vous lui avez démontré, comme deux et deux font quatre, que vous ne faisiez aucun cas de son courage, en empêchant un duel... qui n'aurait pas eu lieu.

Armand. - Comment?

Daniel. - J'avais pris mes mesures... Je rends aussi quelquefois des services...

Armand. - Ah! vous voyez bien!

Daniel. - Oui, mais, moi, je me cache... je me masque! Quand je pénètre dans la misère de mon semblable, c'est avec des chaussons et sans lumière... comme dans une poudrière! D'où je conclus...

Armand. - Qu'il ne faut obliger personne?

Daniel. - Oh non ! mais il faut opérer nuitamment et choisir sa victime! D'où je conclus que le dit Perrichon vous déteste: votre présence l'humilie, il est votre obligé, votre inférieur ! vous l'écrasez, cet homme !

Armand. - Mais c'est de l'ingratitude!...

Daniel. - L'ingratitude est une variété de l'orgueil..."C'est l'indépendance du cœur", a dit un aimable philosophe. Or, M. Perrichon est le carrossier le plus indépendant de la carrosserie française! J'ai flairé cela tout de suite... Aussi ai-je suivi une marche tout à fait opposée à la vôtre.

Armand. - Laquelle?

Daniel. - Je me suis laissé glisser... exprès! dans une petite crevasse... pas méchante.

Armand. - Exprès?

Daniel. - Vous ne comprenez pas? Donner à un carrossier l'occasion de sauver son semblable, sans danger pour lui, c'est un coup de maître! Aussi, depuis ce jour, je suis sa joie, son triomphe, son fait d'armes! Dès que je parais, sa figure s'épanouit, son estomac se gonfle, il lui pousse des plumes de paon dans sa redingote... Je le tiens! comme la vanité tient l'homme... Quand il se refroidit, je le ranime, je le souffle... je l'imprime dans le journal... à trois francs la ligne !

Armand. - Ah bas? c'est vous?

Daniel. - Parbleu! Demain, je le fais peindre à l'huile... en tête à tête avec le mont Blanc! J'ai demandé un tout petit mont Blanc et un immense Perrichon! Enfin, mon ami, retenez bien ceci... et surtout gardez-moi le secret: les hommes ne s'attachent point à nous en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu'ils nous rendent !

Armand. - Les hommes... c'est possible... mais les femmes?

Daniel. - Eh bien, les femmes...

Armand. - Elles comprennent la reconnaissance, elles savent garder au fond du cœur le souvenir du bienfait.

[...]

Étonnant non ?

Bande son : Diana Krall / Live in Paris

Publié dans Psycho de bazar

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