Shakespeare 3 / Honnête Iago ! / Othello / La jalousie

Publié le par Fab

Une livraison copieuse, mais je me suis déjà fait violence pour couper dans le vif.
Accordez-vous le temps de la lecture, vous ne le regretterez pas.


Aux dires de certains spécialistes, une des pièces les plus abouties de Shakespeare.
Perso, une des plus poignantes.
Deux opéras (Verdi et Rossini), de nombreux films.
Excusez du peu...
Vous l'avez en ligne gratuitement ici, traduction de François Victor Hugo, le fils : http://fr.wikisource.org/wiki/Othello


 


Alexandre Colin / Othello et Desdémone  / Museum of Fine Arts (Nouvelle Orléans- USA)

Rappel pour ceux qui dormaient en classe ou qui n'ont pas eu la chance d'avoir un bon prof de lettres.

L'argument


Othello, général maure (en fait un Noir) au service de Venise se marie à la belle Desdémone, contre le gré de son père.
Othello est un homme de guerre, franc, droit, entier, un peu rustre mais fou amoureux de sa jeune et jolie femme.

Il a pour lieutenant Michel Cassio, la droiture et la loyauté faites homme.

Enfin, il y a... Iago ! Un arriviste, le pire des fourbes, qui jaloux de ne pas avoir été nommé lieutenant à la place de Cassio, va  par dépit et jalousie échafauder un plan pour perdre et Cassio et Desdémone.

La fameuse scène du mouchoir...

Pour faire court, Othello aveuglé par la jalousie tue Desdémone et se suicide quand il découvre, un peu tard, l'innocence de sa femme, de Cassio et le complot ourdi par Iago.

En anglais, pour désigner le parfait salopard, on emploie souvent le fameux "Honest Iago" dont use Othello durant, presque, toute la pièce, un peu notre "Judas"  local. 

Voici pour l'essentiel.

Acte III scène 3 / Iago instille le poison de la jalousie dans l'esprit d'Othello.


Point de bascule de la pièce où Iago va faire montre de toute son habileté sur l'esprit d'Othello et l'amener à douter de sa femme bien aimée Desdémone.
Admirez au passage comment l'auteur "amène" son personnage sur la base de riens vers le doute.



Othello et Iago (image du film Othello d'Oliver Parker 1996)

Cassio, écarté de ses fonctions pour s'être enivré (Iago remplisssait les verres...) demande à Desdémone d'intervenir auprès de son mari Othello.
Cette dernière lui promet bien entendu de faire revenir son rustre de mari à plus de clémence.
Cassio quitte la scène au moment ou Iago et Othello arrivent, Othello l'a vu prendre congé de son épouse.
[...]


 IAGO. - Mon noble seigneur !...

OTHELLO. - Que dis-tu, Iago ?

IAGO. - Est-ce que Michel Cassio, quand vous faisiez votre cour à madame, était instruit de votre amour ?

OTHELLO. - Oui, depuis le commencement jusqu'à la fin. Pourquoi le demandes-tu ?

IAGO. - Mais, pour la satisfaction de ma pensée ; je n'y mets pas plus de malice.

OTHELLO. - Et quelle est ta pensée, Iago ?

IAGO. - Je ne pensais pas qu'il eût été en relation avec elle.

OTHELLO. - Oh ! si ! Même il était bien souvent l'intermédiaire entre nous.

IAGO. - vraiment ?

OTHELLO. - vraiment ! Oui, vraiment !... Aperçois-tu là quelque chose ? Est-ce qu'il n'est pas honnête ?

IAGO. - Honnête, monseigneur ?

OTHELLO. - Honnête ! oui, honnête.

IAGO. - Monseigneur, pour ce que j'en sais !

OTHELLO. - Qu'as-tu donc dans l'idée ?

IAGO. - Dans l'idée, monseigneur ?

OTHELLO. - Dans l'idée, monseigneur ! Par le ciel ! il me fait écho comme s'il y avait dans son esprit quelque monstre trop hideux pour être mis au jour... Tu as une arrière-pensée ! Je viens à l'instant de t'entendre dire que tu n'aimais pas cela ; c'était quand Cassio a quitté ma femme. Qu'est-ce que tu n'aimais pas ?

Puis, quand je t'ai dit qu'il était dans ma confidence pendant tout le cours de mes assiduités, tu as crié : vraiment ! Et tu as contracté et froncé le sourcil comme si tu avais enfermé dans ton cerveau quelque horrible conception. Si tu m'aimes, montre moi ta pensée.

IAGO. - Monseigneur, vous savez que je vous aime.

OTHELLO. - Je le crois ; et, comme je sais que tu es plein d'amour et d'honnêteté, que tu pèses tes paroles avant de leur donner le souffle, ces hésitations de ta part m'effrayent d'autant plus. Chez un maroufle faux et déloyal, de telles choses sont des grimaces habituelles ; mais chez un homme qui est juste, ce sont des dénonciations secrètes qui fermentent d'un cœur impuissant à contenir l'émotion.

IAGO. - Pour Michel Cassio, j'ose jurer que je le crois honnête.

OTHELLO. - Je le crois aussi.

IAGO. - Les hommes devraient être ce qu'ils paraissent ; ou plût au ciel qu'aucun d'eux ne pût paraître ce qu'il n'est pas !

OTHELLO. - Certainement, les hommes devraient être ce qu'ils paraissent.

IAGO. - Eh bien ! alors, je pense que Cassio est un honnête homme.

OTHELLO. - Non ! il y a autre chose là-dessous. Je t'en prie, dis-moi, comme à ta pensée même, ce que tu rumines; et exprime ce qu'il y a de pire dans tes idées par ce que les mots ont de pire.

IAGO. - Mon bon seigneur, pardonnez-moi. Je suis tenu envers vous à tous les actes de déférence ; mais je ne suis pas tenu à ce dont les esclaves mêmes sont exemptés. Révéler mes pensées ! Eh bien ! supposez qu'elles soient viles et fausses... Quel est le palais où jamais chose immonde ne s'insinue ? Quel est le cœur si pur où jamais d'iniques soupçons n'ont ouvert d'assises et siégé à côté des méditations les plus équitables ?

OTHELLO. - Iago, tu conspires contre ton ami, si, croyant qu'on lui fait tort, tu laisses son oreille étrangère à tes pensées.

IAGO. - Je vous en supplie !... Voyez-vous ! je puis être injuste dans mes suppositions ; car, je le confesse, c'est une infirmité de ma nature de flairer partout le mal ; et souvent ma jalousie imagine des fautes qui ne sont pas... Je vous en conjure donc, n'allez pas prendre avis d'un homme si hasardeux dans ses conjectures, et vous créer un tourment de ses observations vagues et incertaines. Il ne sied pas à votre repos, à votre bonheur, ni à mon humanité, à ma probité, à ma sagesse, que je vous fasse connaître mes pensées.

OTHELLO. - Que Veux-tu dire ?

IAGO. - La bonne renommée pour l'homme et pour la femme, mon cher seigneur, est le joyau suprême de l'âme. Celui qui me vole ma bourse me vole une vétille : c'est quelque chose, ce n'est rien ; elle était à moi, elle est à lui, elle a été possédée par mille autres ; mais celui qui me filoute ma bonne renommée me dérobe ce qui ne l'enrichit pas et me fait pauvre vraiment.

OTHELLO. - Par le ciel ! je Veux connaître ta pensée.

IAGO. - vous ne le pourriez pas, quand mon cœur serait dans votre main; et vous n'y parviendrez pas, tant qu'il sera en mon pouvoir.

OTHELLO. - Ha !

IAGO. - Oh ! prenez garde, monseigneur, à la jalousie ! C'est le monstre aux yeux verts qui produit l'aliment dont il se nourrit !

Ce cocu vit en joie qui, certain de son sort, n'aime pas celle qui le trompe ; mais, oh ! quelles damnées minutes il compte, celui qui raffole, mais doute, celui qui soupçonne, mais aime éperdument !

OTHELLO. - ô misère !

IAGO. - Le pauvre qui est content est riche ; et riche à foison ; mais la richesse sans bornes est plus pauvre que l'hiver pour celui qui craint toujours de devenir pauvre. Cieux cléments, préservez de la jalousie les âmes de toute ma tribu !

OTHELLO. - Allons ! à quel propos ceci ? Crois-tu que j'irais me faire une vie de jalousie, pour suivre incessamment tous les changements de lune à la remorque de nouveaux soupçons ? Non ! Pour moi, être dans le doute, c'est être résolu... Echange moi contre un bouc, le jour où j'occuperai mon âme de ces soupçons exagérés et creux qu'implique ta conjecture. On ne me rendra pas jaloux en disant que ma femme est jolie, friande, aime la compagnie, a le parler libre, chante, joue et danse bien ! Là où est la vertu, ce sont autant de vertus nouvelles. Ce n'est pas non plus la faiblesse de mes propres mérites qui me fera concevoir la moindre crainte, le moindre doute sur sa fidélité, car elle avait des yeux, et elle m'a choisi !... Non, Iago ! Avant de douter, je veux voir. Après le doute, la preuve ! et, après la preuve, mon parti est pris : adieu à la fois l'amour et la jalousie !

IAGO. - J'en suis charmé ; car je suis autorisé maintenant à vous montrer mon affection et mon dévouement pour vous avec moins de réserve. Donc, puisque j'y suis tenu, recevez de moi cette confidence... Je ne parle pas encore de preuve... Veillez sur votre femme, observez-la bien avec Cassio, portez vos regards sans jalousie comme sans sécurité; je ne voudrais pas que votre franche et noble nature fût victime de sa générosité même...

Veillez-y ! Je connais bien les mœurs de notre contrée. A Venise, les femmes laissent voir au ciel les fredaines qu'elles n'osent pas montrer à leurs maris ; et, pour elles, le cas de conscience, ce n'est pas de s'abstenir de la chose, c'est de la tenir cachée.

OTHELLO. - Est-ce là ton avis ?

IAGO. - Elle a trompé son père en vous épousant ; et c'est quand elle semblait trembler et craindre vos regards qu'elle les aimait le plus.

OTHELLO. - C'est Vrai.

IAGO. - Eh bien ! concluez alors. Celle qui, si jeune, a pu jouer un pareil rôle et tenir les yeux de son père comme sous le chaperon d'un faucon, car il a cru qu'il y avait magie... Mais je suis bien blâmable ; j'implore humblement votre pardon pour vous trop aimer.

OTHELLO. - Je te suis obligé à tout jamais.

IAGO. - Je le Vois, ceci a un peu déconcerté Vos esprits.

OTHELLO. - Non, pas du tout ! pas du tout !

IAGO. - Sur ma foi ! j'en ai peur. vous considérerez, j'espère, ce que je vous ai dit comme émanant de mon affection... Mais je vois que vous êtes ému : je dois vous prier de ne pas donner à mes paroles une conclusion plus grave, une portée plus large que celle du soupçon.

OTHELLO. - Non, certes.

IAGO. - Si vous le faisiez, monseigneur, mes paroles obtiendraient un succès odieux auquel mes pensées n'aspirent pas...

Cassio est mon digne ami... Monseigneur, je vois que vous êtes ému.

OTHELLO. - Non, pas très ému. Je ne pense pas que Desdémona ne soit pas honnête.

IAGO. - Qu'elle Vive longtemps ainsi ! Et puissiez-vous Vivre longtemps à la croire telle !

OTHELLO. - Et cependant comme une nature dévoyée...

IAGO. - Oui, voilà le point. Ainsi, à vous parler franchement, avoir refusé tant de partis qui se proposaient et qui avaient avec elle toutes ces affinités de patrie, de race et de rang, dont tous les êtres sont naturellement si avides ! Hum ! cela décèle un goût bien corrompu, une affreuse dépravation, des pensées dénaturées... Mais pardon! Ce n'est pas d'elle précisément que j'entends parler ; tout ce que je puis craindre, c'est que, son goût revenant à des inclinations plus normales, elle ne finisse par vous comparer aux personnes de son pays et (peut-être) par se repentir.

OTHELLO. - Adieu ! adieu ! Si tu aperçois du nouveau, fais-le-moi savoir. Mets ta femme en observation... Laisse-moi, Iago.

IAGO. - Monseigneur, je prends congé de vous. (Il va pour s'éloigner. )

OTHELLO. - Pourquoi me suis-je marié ? Cet honnête garçon, à coup sûr, en voit et en sait plus, beaucoup plus qu'il n'en révèle.

IAGO, revenant. - Monseigneur, je voudrais pouvoir décider votre Honneur à ne pas sonder plus avant cette affaire. Laissez agir le temps. Il est bien juste que Cassio reprenne son emploi, car assurément il le remplit avec une grande habileté ; pourtant, s'il vous plaît de le tenir quelque temps encore en suspens, vous pourrez juger l'homme et les moyens qu'il emploie. vous remarquerez si votre femme insiste sur sa rentrée au service par quelque vive et pressante réclamation... Bien des choses peuvent se voir par là. En attendant, croyez que je suis exagéré dans mes craintes, comme j'ai de bonnes raisons pour craindre de l'être; et laissez-la entièrement libre, j'en conjure votre Honneur.
[...]

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P
<br /> Qui vit sans jalousie, en ce bas monde, est comme<br /> Celui qui dort sans lampe ; il peut sentir le bras<br /> Qui vient pour le frapper, mais il ne le voit pas.<br /> <br /> Alfred de Musset.<br /> <br />  <br /> <br />  <br />
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